Décès après retard diagnostique d’un hémopéritoine

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Décès après retard diagnostique d’un hémopéritoine

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  • Une équipe chirurgicale pendant une intervention - La Prévention Médicale

En cas de complication postopératoire soudaine et grave, la présence du chirurgien opérateur sur place est indispensable.

Auteur : le Dr Christian Sicot / MAJ : 13/10/2023

Cas clinique

Un homme, âgé de 74 ans, traité par Xarelto® pour une fibrillation auriculaire, est adressé par son médecin traitant à un gastro-entérologue suite à un test Hemoccult positif. 

Dans le compte rendu de la coloscopie, on note : "Présence de 5 polypes dont 4 enlevés à l’anse. Le plus gros siégeant au niveau du côlon droit présente un aspect de polype dégénéré. Biopsies : adénome tubulo-villeux transformé en adénocarcinome lieberkühnien bien différencié intramuqueux du côlon droit, stade au moins pTis (in situ)."

Dans le compte rendu du scanner réalisé par la suite, est mentionné : "macro-lithiases vésiculaires ; diverticulose sigmoïdienne. Hernie inguinale gauche à contenu sigmoïdien." 

Le 1er septembre 2020, le patient est adressé à un chirurgien digestif. Décision d’intervention avec hospitalisation en clinique.

Le 2 septembre, hémicolectomie droite avec anastomose iléo-transverse sous cœlioscopie. "Le pédicule iléo-cæcal sera facilement repéré et lié à son origine à l’aide du LigaSure, la veine puis l’artère. Les vaisseaux seront liés à leur origine permettant un bon curage. On retrouvera plus haut un pédicule colique supérieur droit qui sera ligaturé de la même façon au LigaSure. Ligature des arcades bordantes au niveau des futures sections intestinales, sur la partie moyenne du côlon transverse et sur l’iléon à 10 cm de la valvule… Vérification de l’hémostase…"

Le 3 septembre à 7h30, le chirurgien note : "Suites immédiates simples : peu de douleurs ; pas de nausée. À l’examen, abdomen souple et non douloureux. Boissons autorisées et ablation de la sonde d’aspiration digestive."

À 11h , dossier infirmière : "A pu uriner sans problème. A fait sa toilette au lavabo et est resté 1 heure au fauteuil."

À 12h, au passage de l’infirmière : "se plaint de douleurs abdominales très importantes avec impression de chaleur faisant évoquer un malaise vagal."

Vers 12h30, "PA imprenable et pouls peu perceptible". L’anesthésiste-réanimateur, dès qu’il est prévenu, prescrit une oxygénothérapie par sonde nasale (6 l/min) et la pose d’une voie veineuse pour perfusion de Ringer-lactate (1 litre) et de sérum physiologique (1 litre). 

À 13h, l’anesthésiste-réanimateur se rend auprès du patient et prescrit la mise sous atropine et adrénaline avec un remplissage à haut débit. Il décide, compte-tenu de la dégradation de l’état du patient, de le transférer dans le Service de Soins Continus. Devant la soudaineté du tableau, une embolie pulmonaire ou un infarctus myocardique sont évoqués. Le chirurgien est informé téléphoniquement par l’anesthésiste-réanimateur de ce transfert et des diagnostics privilégiés. Deux autres anesthésistes-réanimateurs et un cardiologue sont appelés en renfort. Le patient est intubé, une voie veineuse centrale est mise en place ainsi qu’un cathéter artériel. Le patient présente un arrêt cardio-respiratoire qui est rapidement récupéré. 

  • Biologie : pH : 6,95, PaCO2 : 45 mm Hg, PaO2 : 183 mm Hg, SaO2 : 98 %,K : 4,4 mmol/1 ; Hb : 10,6 g/100 ml.
  • Echo-cardiaque : fonction myocardique pénalisée par l’importance de la tachycardie.
  • Coronarographie (courrier du cardiologue en date du 3 septembre 2020) : "Constat d’un collapsus majeur avec possible tachycardie ventriculaire sans arrêt cardiocirculatoire complet. Le patient est descendu en urgence extrême en salle de coronarographie pour éliminer un tableau hémodynamique aigu. L’examen ne retrouve pas de cause cardiovasculaire à cet état de choc. Le réseau coronaire est angiographiquement normal. Fonction systolique ventriculaire gauche conservée sur un ventricule gauche non dilaté. Absence de valvulopathie mitro-aortique. Pas d’élément en faveur d’un syndrome aortique aigu."
     

Devant la persistance d’un état hémodynamique précaire, une décision de reprise chirurgicale en urgence est prise sans tomodensitométrie, d’autant que l’abdomen apparaît de plus en plus tendu, faisant suspecter une hémorragie interne. À noter que les résultats de la prise de sang prélevée à 14h, mais dont les résultats ne seront transmis qu’à 17h, montraient une aggravation de la baisse de Hb à 7,20 g/100 au lieu de 10,7 à 14h.

Transfusion en préopératoire de 3 concentrés de globules rouges (CGR) et de 3 plasmas frais congelés (PFC). 

À 15h, le chirurgien réintervient par laparotomie : "On retrouve un volumineux hémopéritoine qui sera aspiré. Des compresses abdominales permettront d’assurer une compression sur la zone opératoire, pendant le temps d’aspiration. Une partie de l’hémopéritoine pourra être récupérée à l’aide du Cell Saver®. L’extériorisation du grêle permettra de mettre en évidence une hémorragie au niveau de la colique supérieure droite. Une pince assurera l’hémostase. L’artère sera aiguillée au ProlèneTM 4/0. Lavage abondant de la cavité péritonéale au sérum chaud. Évacuation de nombreux caillots. Un suintement hémorragique au niveau du méso, au contact de l’artère colique supérieure droite nécessitera une nouvelle hémostase au ProlèneTM 4/0. Lavage de la cavité péritonéale au sérum chaud. Drainage par 2 drains de Shirley®, un dans le cul-de-sac de Douglas, un dans la gouttière pariéto-colique droite. Mise en place de 2 draps de Pangen® au contact du méso qui est le siège d’un petit suintement hémorragique… Les drains vont donner immédiatement après la fermeture 200 cc de liquide hémorragique. On va donc ouvrir la laparotomie. Il n’y a pas de saignement actif. Nouveau lavage de la cavité péritonéale."

Au décours de la réintervention, patient transféré en réanimation. Persistance d’un état hémodynamique instable avec un tableau de défaillance multiviscérale conduisant à la reprise d’un remplissage vasculaire et à la majoration des posologies des catécholamines (jusqu’à 40 mg/h) ainsi qu’à une polytransfusion : 6 CGR, 6 PFC, 1 MCP (concentré plaquettaire), 6 g de fibrinogène, 1 g d’Exacyl® (acide tranexamique), puis du Novoseven® (facteur VIIa).

Le 4 septembre 2020, à 10h,  décès du patient.

Saisine de la Commission de Conciliation et d’Indemnisation (CCI) par les ayants droit du patient pour obtenir réparation des préjudices qu’ils avaient subis (mai 2020).

Expertise (mai 2021)

Dans ses conclusions, l’expert, chirurgien viscéral exerçant en libéral, estimait qu’il y avait plusieurs dysfonctionnements dans la prise en charge postopératoire du patient : 

  1. (...) L’absence d’un chirurgien dès le début des anomalies cliniques pour accompagner l’anesthésiste. La présence d’un chirurgien aurait peut-être pu orienter vers une prise en charge plus rapide au bloc opératoire, le tableau clinique n’étant pas évident. Devant une symptomatologie très brutale (douleurs abdominales puis arrêt cardiorespiratoire rapide), une discussion pluridisciplinaire aurait été légitime.
     
  2. L’erreur diagnostique concernant l’étiologie du choc et de l’arrêt cardiorespiratoire du patient (avec le recul, un scanner abdomino-pelvien aurait été plus précis pour orienter le diagnostic et la prise en charge qu’une coronarographie). L’anesthésiste a agi selon les règles de l’art en utilisant des moyens convenables pour comprendre le tableau clinique vu la difficulté de la situation et l’état très grave du patient (exemple : faire appel à d’autres collègues, chercher à tout prix le diagnostic pour mieux peaufiner la prise en charge sur un tableau gravissime).
     
  3. Le délai de réponse du laboratoire pour fournir le résultat de la prise de sang prélevée à 14h (le taux d’hémoglobine). Le diagnostic de choc hémorragique aurait pu être fait sur cette prise de sang vu la chute très importante du taux d’hémoglobine. La prise en charge au bloc opératoire a été réalisée vers 15h et la prise de sang prélevée vers 14h. Ce dysfonctionnement n’a donc pas engendré de vraie perte de chance mais mérite toutefois d’être signalé.
     
  4. Quant à l’intervalle entre le moment ou l’infirmière signale l’apparition des symptômes et l’aggravation du tableau du patient (à 12h30, TA imprenable, pouls peu perceptible) et la prise en charge à 13h par l’anesthésiste, il n’y a pas assez d’éléments pour se prononcer.


Au total, l’acte médical du 2 septembre 2020 (colectomie droite par cœlioscopie) a eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé initial. Il s’agit d’un accident médical non fautif. Il n’est pas possible de se prononcer de manière définitive et certaine quant à la probabilité de survie (avec plus ou moins de séquelles) du patient si la reprise opératoire avait été réalisée plus tôt. La brutalité et la sévérité du tableau a sûrement rendu la prise en charge plus difficile, autant sur le plan diagnostique que thérapeutique.

Le décès rapide du patient est une complication plus grave que celles auxquelles il aurait été probablement exposé en l’absence du traitement, au moins à court terme. Mais il n’est pas possible de conclure de manière définitive et certaine quant à évaluer le pronostic de la néoplasie colique du patient sans traitement chirurgical à moyen et long cours. Il n’existe pas dans la littérature médicale des études dans ce sens.

À signaler aussi un état antérieur (anticoagulation par Xarelto®) qui aurait pu interférer avec l’apparition d’une hémorragie. La participation causale de cet état antérieur à la réalisation du dommage peut être estimée à environ 10-20 %.

Enfin, il faut rappeler que l’hémorragie intrapéritonéale après une colectomie reste une complication rare (0,9 %) mais grave (taux de décès à 20 %) (…).

Avis de la CCI (octobre 2021)

La Commission estimait :

  1. Sur les responsabilités encourues pour faute
    Un lien de causalité direct et certain pouvait être retenu entre le décès du patient et sa prise en charge médicale au sein de la clinique, par le chirurgien ainsi que par l’anesthésiste-réanimateur. En effet, le patient avait présenté un volumineux hémopéritoine dans les suites de l’hémicolectomie droite réalisée le 2 septembre 2020, par le chirurgien. Cette complication a été tardivement prise en charge à la suite de manquements fautifs, à l’origine d’une perte de chance d’éviter son décès.

    Plus précisément, la Commission considère que, le 3 septembre 2020, à 13h, lorsque l’anesthésiste-réanimateur a contacté le chirurgien afin de l’informer du transfert du patient au sein du Service de Soins Continus, il aurait dû lui préciser que son patient présentait une dégradation de son état de santé. Le tableau était alors déjà évocateur d’une hémorragie, du fait d’une tension imprenable ainsi que d’importantes douleurs. La Commission est d’avis que le chirurgien aurait dû se déplacer au chevet du patient, afin de permettre une discussion pluridisciplinaire avec les anesthésistes, et de réaliser un scanner et non une coronarographie, à la recherche d’une éventuelle complication chirurgicale. Ainsi, lorsque l’état de santé du patient s’est dégradé, seul l’anesthésiste-réanimateur était présent. Or, la Commission est d’avis qu’il aurait été opportun que le chirurgien soit également présent afin d’envisager une reprise chirurgicale plus précocement.

    Si la Commission s’interroge quant au délai de réponse du laboratoire concernant le résultat de la prise de sang prélevée à 14h et reçu à 17h, sachant que le diagnostic d’hémorragie aurait pu être posé sur ce seul résultat vu la chute très importante du taux d’hémoglobine, elle ne considère pas ce fait comme ayant eu une incidence, le patient étant déjà au bloc opératoire à cette heure-là. 

    Enfin, la Commission exclut toute responsabilité de la clinique. Elle constate en effet qu’à 12h, l’infirmière a signalé à l’anesthésiste-réanimateur les douleurs présentées par le patient, les constantes étant alors normales. 

    La Commission est d’avis que les responsabilités de l’anesthésiste-réanimateur et du chirurgien doivent être retenues, en application du premier alinéa de l’article L.1142-1, I du code de la santé publique, au titre de manquements fautifs, à l’origine d’une perte de chance de survie de 50 %, partagée à hauteur de 25 % chacun. La responsabilité de la clinique doit, en revanche, être écartée.
     
  2. Sur les responsabilités encourues sans faute
    Il ressort du dossier du patient qu’il a présenté un volumineux hémopéritoine dans les suites de l’hémicolectomie droite réalisée le 2 septembre 2020, par le chirurgien. 

    S’agissant de l’étiologie de la complication subie, la Commission constate qu’elle est consécutive à un lâchage de clip d’une artère colique. 

    La Commission analyse cette complication en un accident médical non fautif.


Au total, la Commission est d'avis que :

  • La responsabilité de la clinique doit être écartée.
  • Les responsabilités du chirurgien et de l’anesthésiste-réanimateur doivent être engagées au titre de manquements fautifs à l’origine d’une perte de chance de 50 % d’éviter le décès du patient, partagée, à hauteur de 25 % imputables aux manquements du chirurgien et de 25 % imputables aux manquements de l’anesthésiste-réanimateur.
  • Le patient a également été victime d’un accident médical non fautif indemnisable au titre de la solidarité nationale. (…)

Commentaire

Le décès du patient est vraisemblablement dû au retard de la réintervention pour assurer l’hémostase du lâchage du clip artériel à l’origine de l’hémopéritoine postopératoire. Mais il est également vraisemblable que la prise en charge du choc hémorragique n’a pas été conforme aux recommandations en cours. Celles-ci ont été publiées par la SFAR (Société Française d’Anesthésie et de Réanimation) en 2014 (en dehors des hémorragies digestives et des hémorragies de la délivrance) :

(…) Lors de la phase initiale d’un choc hémorragique, tant que le saignement n’est pas contrôlé, il est essentiel d’éviter une aggravation du saignement par une dilution des facteurs de la coagulation et/ou des objectifs de pression artérielle (PA) excessifs et/ou un retard de traitement d’une éventuelle coagulopathie.

Il faut probablement tolérer un certain degré d’hypotension artérielle systolique (PAS = 80-90 mmHg en l’absence de traumatisme crânien grave) et limiter le remplissage au strict maintien de ces objectifs de PAS pour minimiser les risques d’aggravation du saignement tant que l’hémostase chirurgicale et/ou radio-interventionnelle n’est pas réalisée.

Il est recommandé d’utiliser en première intention les solutés cristalloïdes lors de la prise en charge initiale du patient en choc hémorragique. L’utilisation des spécialités à base d’hydroxyéthylamidons (EHA) ne doit s’envisager que lorsque l’utilisation des cristalloïdes seuls est jugée insuffisante pour maintenir la volémie et en l’absence de leurs contre-indications.

Après avoir débuté un remplissage vasculaire, il faut probablement administrer un vasopresseur en cas de persistance d’une hypotension artérielle (PAS< 80 mmHg). Il faut probablement administrer la noradrénaline en première intention. Dans un contexte d’urgence, et dans l’attente de la pose d’un accès central, cette administration peut se faire sur une voie périphérique.

Il est recommandé qu’une procédure locale de gestion de l’hémorragie massive soit élaborée dans chaque structure médico-chirurgicale avec une approche multi-disciplinaire.

Il est recommandé d’administrer de l’acide tranexamique dès que possible dans les trois premières heures de la survenue d’un choc hémorragique. La transfusion de plasma doit être débutée rapidement, idéalement en même temps que celle des concentrés de globules rouges (CGR). Il faut probablement transfuser le plasma frais congelé en association avec les CGR avec un ratio PFC:CGR compris entre 1:2 et 1:1. Il est recommandé de mettre en œuvre une transfusion plaquettaire précoce, généralement lors de la deuxième prescription transfusionnelle pour maintenir la numération des plaquettes au dessus de 50 G/L (100 G/L en cas de traumatisme crânien associé). Il faut probablement transfuser des plaquettes chez les patients présentant une hémorragie sévère et/ou une hémorragie intracrânienne traités par des agents antiplaquettaires. L’administration de concentrés de fibrinogène est probablement recommandée en cas de fibrinogénémie ≤ 1,5 g/L. En cas de choc hémorragique survenant chez un patient traité par AVK, il est recommandé d’administrer sans délai des concentrés de complexe prothrombique (CCP). En cas de choc hémorragique survenant chez un patient traité par anticoagulants oraux directs (AOD), il faut probablement tenter une neutralisation immédiate de l’effet anticoagulant de l’AOD par soit du FEIBA 30-50 U/ kg, soit des CCP 50U/kg éventuellement renouvelés 1 fois à 8 heures d’intervalle. (…)

Duranteau J. et coll. Recommandations sur la réanimation du choc hémorragique. SFAR  2014

 

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